La France est nantie de prétendus défenseurs des droits des élèves, d’associations et de juges pour enfants prêts à faire la leçon à l’Europe et au monde entier en clamant que la France est à la pointe des droits de l’ «enfant» (au sens juridique, moins de 18 ans). Parmi les zélateurs pédagogues de cette cause, nous retrouvons des adversaires résolus de l’agrégation, notamment François Dubet, Pierre Merle ou Jacques Pain…
Pourtant, après de nombreuses lectures parmi ces auteurs, le constat est que jamais – et c’est très étonnant– ces messieurs n’ont remis en cause ce qui reste, dans notre droit, de nombreuses reliques ahurissantes la puissance paternelle. Edgar Faure avait, en son temps, exploré le sujet … Mon langage et ma référence étonneront donc : je parle comme au temps où notre association séparait les agrégés des agrégées. On pourrait croire, en effet, que cette notion juridique, passablement arriérée, a été totalement abattue : suppression de la correction paternelle dans l’entre-deux-guerres, école obligatoire jusqu’à 14 puis 16 ans, capacité juridique pour les femmes, Convention Internationale des Droits de l’Enfant en 1989…
Il n’en est rien : la loi sur l’Autorité parentale de 1970 n’a fait que partager les pouvoirs entre les parents mais ne les a pas redéfinis et la Convention Internationale des Droits de l’Enfant n’a aboli aucune ligne du vieux code civil. Sa lecture nous le confirme bien.
L’archaïsme du droit français est, par ailleurs, aggravé par un blocage épistémologique. A l’inverse de la plupart de nos voisins germaniques, néerlandais, scandinaves, anglo-saxons et gaéliques (droit local écossais et manx, particulièrement audacieux), le juriste français est incapable d’imaginer une progression graduelle des droits civils entre un nourrisson et un lycéen : l’idée de pré-majorité est ainsi très rare en droit français ; Messieurs Dassault et Estrosi ne proposent que l’abaissement de la majorité pénale mais rien en matière de droits. Plus étonnant mais absolument vérifiable : aucun de nos grands pédagogues, même pas Pierre Merle, soi-disant spécialiste du droit des élèves, ne se sont émus de cette situation. Cela explique d’ailleurs mon absence totale de bibliographie, en dehors du blog du magistrat Jean-Claude Bardout, la seule référence à partager les intuitions exposées ici mais ne les déclinant malheureusement que dans le seul droit associatif.
Venons en au fait : en 2011, le droit français garde plusieurs dispositions choquantes. Je n’en citerai que trois :
- Les parents peuvent ouvrir le courrier de leurs enfants jusqu’à 18 ans ; aucun droit à la vie privée et à l’intimité n’est reconnu pour les mineurs.
- Les parents peuvent imposer leur religion jusqu’à 18 ans ;
- L’orientation scolaire est choisie par les seuls parents, pas par l’élève, dont la signature personnelle n’est jamais exigée sur un formulaire d’orientation.
Si les deux premiers points relèvent du droit civil général, le dernier – l’orientation scolaire – est spécifique de l’école. Elle concerne les professeurs. Or, vous avez beau parcourir la littérature sur le droit des élèves (en particulier les ouvrages de Pierre Merle ou réalisés sous sa direction), à aucun moment ce sujet n’est abordé ; pas une ligne, pas un soupçon ! Un silence absolu, un sujet inédit ! Jamais ni M. Merle, ni M. Dubet, ni M. Meirieu ne semblent choqués par le fait que l’élève lycéen n’ait aucune capacité juridique pour choisir lui-même son orientation et ses options. En France, seule la signature des parents est requise jusqu’à 18 ans. Plus grave : les services de l’orientation m’ont confirmé l’existence de conflits entre parents et enfants, de lycéens qui se sabordent parce qu’inscrits contre leur gré dans une série contraire à leurs vœux.
Curieux que ceux qui admirent le modèle anglo-saxon pour en reprendre le pire (enseignants présents 40h00 et gérant la cantine, sélection par l’argent à l’université, pédagogisme « avancé » et « moderne », « évaluation par compétences » et autres lubies néolibérales, recrutement des enseignant par le chef d’établissement transformé en petit « manager » inculte et en DRH aux petits pieds) ne songent pas un instant à en prendre le meilleur. Ainsi, le lycéen anglais choisit ses options et son orientation à 16 ans et les parents ne peuvent s’y opposer. Avant cet âge, la double signature est nécessaire ; des dispositions semblables existent aux Pays-Bas, en Scandinavie et dans les Pays germaniques ; dans ces derniers, elles sont parfois assorties du droit de vote à 16 ans partiel (certains cantons suisses alémaniques, certains Landers allemands) ou total (Autriche). Seule la France (et la Wallonie qui l’imite en beaucoup de chose, des excellentes aux pires) conservent un droit digne du XIXème siècle : un « mineur » est un incapable total, frappé de la même incapacité, dans tous les domaines, indifféremment pour celui qui a 2 ans et celui qui en a 17.
On s’étonnera que M. Dubet, qui n’a à la bouche que le mot de « déconstruction » ne propose pas de déconstruire cette imprégnation, au minimum inconsciente, des pédagogues français par ces reliquats grossiers de la puissance paternelle. Combien de ces « chercheurs » ont assisté aux conseils de classes en y entendant qu’on y examine « les vœux des familles » et non ceux des élèves sans le moins du monde être interpellés ? Leur structure intellectuelle semble bien sclérosée, rigide, frappée d’un conservatisme incroyable, d’une cécité profonde…
Ayant suivi à l’IUFM de Rennes cours et conférences de Pierre Merle, je confirme d’ailleurs que, pour ce Monsieur, la structure à déconstruire est chez lui une véritable cuirasse ferralitique tropicale. Il est profondément engoncé dans des conceptions juridiques archaïques, au point de considérer l’enseignant comme un auxiliaire de l’autorité parentale et surtout pas comme un éveilleur de conscience, surtout pas comme celui qui ouvre sur l’extérieur de la famille en déconstruisant l’opinion des parents. Pour lui, les parents ont le droit d’élever leurs enfants dans la secte de leur choix, l’école publique étant une secte parmi d’autres. J’ai encore mes notes de cours, c’est accablant ! Dire que lycéen, j’ai manifesté derrière les idées de M. Dubet et de M. Merle (habitant Rennes, je l’ai même rencontré à la ligue de l’enseignement dans le cadre du « cercle Condorcet ») sans avoir conscience de tout cela ! Quelle imposture, quelle tromperie !
Un tel sujet mériterait une thèse de droit : c’est un boulevard et une occasion en or offerts à un ou des doctorants. Je leur offre ce sujet, totalement vierge. C’est totalement inédit. Les pédagogues français ne cessent de nous asséner que les élèves sont « acteurs de leur propre formation » mais ont été incapables d’en tirer les conséquences juridiques alors même que certains se présentent comme spécialiste de la question. On appelle cela de l’incompétence ou, plus grave, une imposture […]
Cette prise de position permettrait évidemment de doubler sur leur terrain Dubet, Meirieu et Merle, eux qui voient les agrégés comme des réactionnaires élitistes impénitents. C’est une position particulièrement délicieuse à savourer. Comment? Un agrégé, l’un de ces corporatistes archaïques et arcboutés sur des privilèges médiévaux prétend faire avancer les droits des lycéens ? Eh bien oui ! Vous n’aviez qu’à y penser avant si vous vouliez éviter cet affront… Constater ces évidences sur le caractère rétrograde de notre droit (qui m’avaient déjà révolté à 14 ans, en tant que simple élève de 3ème), nécessite-t-il d’être major à l’épreuve de spécialité de l’agrégation ? Certes non, mais c’est inaccessible aux nuls …
Cependant, au-delà de la dialectique et du plaisir, c’est avant tout un appel urgent aux chercheurs et au législateur pour modifier le droit français : notre modèle laïque souffre, en effet, de ces archaïsmes graves en matière de droit des élèves et s’avère largement dépassé par nos voisins qui ne revendiquent pourtant pas le concept de laïcité.
Pour bien enfoncer le clou, publions ici des propositions juridiques auxquelles nos grands pédagogues n’ont jamais songé :
- Donner juridiquement le choix à l’élève de l’orientation scolaire et des options à partir de la 3ème (bifurcation entre voie générale et technologique). Cela implique aussi par voie de conséquence, en Alsace-Moselle, que les parents ne puissent plus imposer de jure leur religion aux adolescents.
- Abroger les lignes de code civil relatives à la violation du courrier et des fréquentations des « mineurs » et leur reconnaître fermement le droit à la vie privée.
- Donner aux élèves un droit de véto pour l’inscription par leurs parents dans les établissements scolaires hors contrat.
- Donner une capacité juridique (peut-être vers 14-15 ans) pour demander soi-même son acte de naissance, faire sa carte d’identité et ses démarches administratives.
- Plus généralement créer des pré-majorités et des paliers de droit.
- Pouvoir demander soi-même son émancipation (actuellement seuls les parents peuvent le faire).
© Société des Agrégés de l’Université, 25 Rue Descartes, 75005 Paris.
© Rodolphe DUMOUCH
Pas si étonnant, mon gars, qu’ils n’aient jamais soulevé ces problèmes !
je peux te dire (je suis à la fac de droit) qu’il n’y a rien de plus conservateur sur la famille qu’un gros gauchiste bien borné en fac de droit… Je te jure, y a des fois, Valeurs Actuelles passerait pour des laxistes…
Que les mineurs puissent choisir leur orientation scolaire – Signez la pétition!
https://www.change.org/p/que-les-mineurs-puissent-choisir-leur-orientation-scolaire?recruiter=585252233